Joey Dellatte quitte la présidence des CHEFF et nous fait part de son sentiment à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, dimanche 17 mai 2015 :

Dimanche dernier, j’ai présidé ma dernière Assemblée Générale des CHEFF qui a élu un nouveau Conseil d’Administration. Le 1er juillet je quitterai donc officiellement la présidence de cette fantastique Organisation de Jeunesse que j’ai contribué à créer, et par la même occasion je quitterai mon dernier poste de volontaire dans l’associatif LGBTQI.

Après 8 ans d’implication à différentes échelles, je tournerai ainsi la page sur un pan important de ma vie. D’abord au sein du CHEL comme administrateur et responsable des animations puis comme président, ensuite lors de la fabuleuse épopée qui nous a mené à l’union des jeunes LGBTQI belges dans les CHEFF, ainsi que dans la représentation de ces jeunes dans différents lieux comme dans la fédération Arc-En-Ciel Wallonie, Relie-F ou le Conseil de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai eu malgré mon jeune âge la chance, la charge et le privilège d’avoir un parcours d’activiste LGBTQI très rempli. Huit ans c’est déjà une époque à l’échelle de mes 26 printemps.

J’ai eu la chance de rencontrer le CHEL à mes 18 ans cette association que l’on appelle désormais, non sans un formalisme humoristique, le « pôle liégeois des CHEFF », et qui m’a littéralement sauvé la vie. Sauver la vie ? Oui, il s’agit de la bonne expression. Comme beaucoup de jeunes Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Transgenres, Queers ou Intersexes, mon histoire personnelle s’est heurtée à un moment à l’exclusion et au jugement ordalique de la part de gens qui m’étaient parfois très proches et qui, par ignorance et homophobie ancrée dans leur identité, m’ont amené à devoir m’en sortir presque totalement seul juste au sortir de l’adolescence. Cette histoire c’est la mienne, mais c’est aussi celle de centaines de jeunes LGBTQI qui passent chaque année par les pôles des CHEFF. C’est aussi l’histoire de bien d’autres jeunes qui n’ont pas la chance ou la force de pousser les bonnes portes. Au delà de cet aspect salvateur, le CHEL pour moi ce fut aussi une époque formidable qui a constitué, pendant toute mes études, un refuge et une inspiration, c’est aussi là que j’ai rencontré une partie considérable des gens qui me sont proches à l’heure actuelle.

Marguerite Yourcenar a écrit que le véritable lieu de naissance est le lieu ou l’on a pour la première fois porté un regard intelligent sur soi-même et, par transparence, sur le monde. Ce premier lieu pour moi, ce fût surement le CHEL qui a fait de moi un citoyen engagé et militant en me faisant découvrir ce qu’était un mouvement social et militant qui souhaite faire changer les choses. Comme beaucoup de Cheffiens, c’est donc aussi avec la volonté de rendre ce qui m’a été donné que je me suis tant investi dans ce mouvement.

L’aventure incroyable des CHEFF a marqué la 2ème moitié de mon engagement. Cette histoire-là, c’est singulièrement celle de ces jeunes venus de Wallonie et de Bruxelles qui souhaitaient s’unir pour porter la voix souvent oubliée des jeunes au sein du mouvement LGBTQI. 30 ans après la création du premier groupe structuré de jeunes LGBT à Bruxelles, une décennie après les premières lois d’égalité, c’est d’une volonté commune de travailler ensemble dans les différences, dans l’inclusivité et pour la diversité qu’est née notre organisation. J’ai eu l’immense chance de faire partie de ce mouvement, de cette émulation venue de la base, venue des jeunes. Ce pari, qui s’est vu récompensé d’une reconnaissance par les autorités publiques en 2014, est un pari continuel : celui d’aider des jeunes qui en ont besoin et de porter un message d’égalité et de liberté pour les personnes LGBTQI à tous les niveaux.

JoeyCHEFF

Faire de sa différence une force ! Cette petite exclamation mérite de ne pas être prise à la légère, car durant 4 ans avec les CHEFF, c’est ce que nous avons fait. D’un point de vue personnel, durant mes 8 années de militance, j’ai eu la chance inouïe de mettre en pratique cet adage en portant nos valeurs, nos idées, ainsi que la voix des jeunes que je représentais, des velours parlementaires belges jusqu’aux estrades des Nations-Unies. Via deux discours devant l’Assemblée Générale et la Commission pour le développement social de l’ONU, j’ai pu notamment témoigner de ce que j’avais expérimenté avec les CHEFF : de ce qui marche (la visibilité, l’intervention en milieu scolaire, l’EVRAS, l’accueil des pairs par les pairs) et de ce qu’il reste encore à faire (une vraie intégration sociale de la différence, une politique publique et scolaire qui soutient de facto l’intégration des minorités sexuelles). J’ai aussi tout au long de mon engagement eu le privilège de rencontrer des gens extraordinaires qui m’ont inspiré et ouvert à des réalités qui dépassent mon quotidien et mon habitude. Ces expériences, je les souhaite à tous les jeunes qui passent par les CHEFF. Je vous la dois aussi. Alors merci.

Même si ce long article ressemble un peu involontairement à un testament qu’on lit à la veille d’une mise en retraite, je ne me sentirais pas à l’aise de quitter les CHEFF sans rappeler plusieurs points qui forment notre identité. Ainsi la philosophie insufflée par notre mouvement est simple et il est capital qu’elle continue à nous animer : inclure, même si c’est difficile, même s’il y a des obstacles, même s’il y a des incompréhensions, même s’il y a des frustrations, toujours inclure ! Inclure ces jeunes LGBTQI dans la société, mais également inclure au sein des jeunes LGBTQI toute la diversité qui y réside : les filles d’abord, trop souvent invisibles, les bisexuel.le.s, trop souvent incompris.es et enfin les Trans, les Queers et les Intersexes pour lesquels tant de combats sont encore à gagner, y compris au sein de l’associatif sensé les représenter ! J’ai néanmoins personnellement toujours considéré la division comme un échec. Les éléments qui ont contribué à notre réussite et à consolider notre mouvement, c’est l’union et la solidarité autour de notre plus grand dénominateur commun : le fait d’être des jeunes « différents » qui font face à la même société. Faire partie d’une minorité sexuelle n’est facile à aucun âge, mais pour un jeune qui construit son identité, la chose est encore moins aisée. C’est pourquoi l’union autour des challenges qui nous sont propres est si importante et pourquoi il est important de ne pas sombrer dans les fantasmes : il n’existe aucun complot qui viserait à monter une partie d’entre nous contre une autre partie, il n’existe que de l’ignorance, qui doit être réduite et combattue. Notre combat est et doit rester un combat commun. Au-delà du droit à la différence des orientations sexuelles qui forme souvent le cœur des revendications du mouvement LGBTQI, l’histoire récente nous porte sur un combat tout aussi important qui doit faire comprendre à notre société que la normativité et la binarité des genres est un concept suranné, né des simplifications les plus élémentaires de l’esprit. Ce combat est capital si pas essentiel, car c’est celui qui nous rend tous égaux et qui fait que notre combat reste un combat commun.

Maalouf a écrit que c’est notre regard qui enferme les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. Cette phrase signifie beaucoup pour moi, et elle me conforte dans l’opinion que c’est la pédagogie et la visibilité positive qui sont les meilleures voies d’accès à une intégration sociale des jeunes issus des minorités sexuelles. Visibiliser les jeunes LGBTQI, intégrer leurs différences dans le champ du social, du sociétal, du scolaire, mais aussi du familial, dimension essentielle à ne pas oublier quand on parle du bien-être des jeunes, c’est le vrai challenge des CHEFF pour le futur ! Dans beaucoup de familles et d’écoles de notre pays, il est encore trop difficile d’être un.e jeune lesbienne, gay, bisexuel.le, transgenre, queer ou intersexe. C’est pour cette raison que le combat des CHEFF doit continuer, via l’empowerment des jeunes qui forme leur ADN. Les jeunes ne demandent d’ailleurs qu’à avoir en main les armes pour s’en sortir, c’est pourquoi les CHEFF sont nés des jeunes et resteront portés par les jeunes et qu’ils ont constitué une petite révolution au sein de l’associatif LGBT : enfin les jeunes LGBTQI ont une organisation structurée capable de porter leur voix !

L’organisation sera donc ce que vous en ferez, et son efficience pour faire changer les choses dépendra de la solidarité et de l’union avec lesquelles vous porterez le message. J’ai personnellement bon espoir que nos idées d’intégration, de démocratie, de visibilité et de pluralisme finiront par se répendre autour de nous. J’ai confiance en la nouvelle génération de jeunes des CHEFF qui, j’en suis certain, aura la force et les idées pour faire de notre société une société plus juste et plus égalitaire. Ces 8 années furent pour moi des années extraordinaires durant lesquelles j’ai eu la chance de grandir en découvrant la signification du mot diversité. Merci pour ces années.

Joey Dellatte, 17 mai 2015