Est-ce que vous êtes déjà allés dans les toilettes ou les vestiaires du sexe opposé ? Quand on est transgenre, tout change. Des petites choses, qu’on faisait sans penser, deviennent lourdes de sens. Depuis que je suis adolescent, je vais dans les toilettes des garçons. Et je le fais sans gêne particulière, pour une raison simple : les WC des garçons sont plus propres, parce que moins utilisés que ceux côté filles si les toilettes disposent aussi d’urinoirs.

Cependant, depuis que j’ai pris conscience d’être trans il y a environ un an et demi, c’est devenu un enjeu particulier. D’abord, j’ai occupé les toilettes masculines par bravade, avec une fierté d’enfin savoir qui j’étais, guidé par quelque chose comme « je vais où ça me plait ! ». Depuis que je prends des hormones, la question est devenue plus compliquée : avant, j’étais sûr que tout le monde m’identifiait comme fille. Maintenant, mes vêtements et mon apparence sont plus sujet à interprétation, comme un poème de Baudelaire (enfin, presque !). Ce qui fait que je ne sais jamais où aller : chez les filles ou chez les garçons ? Le logo qui porte une jupe ou l’autre logo, tristounet ?

WCJe commence à être trop masculin pour que les filles ne s’interrogent pas sur ma présence dans les toilettes des filles, mais on me prend encore régulièrement pour une fille, alors j’ai peur d’aller chez les garçons. Résultat : je me faufile souvent quand il n’y a presque personne, attends que les toilettes soient vides pour m’y introduire et prie pour que personne n’entre quand j’en sors. Cela demande une organisation parfaite, juste pour entrer dans des toilettes publiques…

Pire que les WC : les vestiaires

Mais il y a pire, oh oui, bien pire : les vestiaires collectifs. Alors que cela ne m’avait jamais posé problème, n’étant pas spécialement pudique, ils sont devenus ma hantise. A vrai dire, je les évite et ai donc arrêté presque tous les sports que j’aimais, pour ne plus avoir à vivre ce moment terrible. Certains centres sportifs m’ont signalé, après que j’aie posé la question, que je n’aurais le droit d’accès aux vestiaires des garçons que lorsque ma carte d’identité dirait que je suis un homme et que ça se verrait « physiquement ». Dans un autre lieu sportif, on a convenu que ce serait plus safe pour moi de continuer à m’habiller avec les filles, parce que celles-ci sont en général plus conciliantes et que certains garçons reluqueraient mon corps féminin quand je me déshabillerais. Je suis d’accord a priori. Sauf que dès le premier entrainement, je me rends compte que certaines filles s’interrogent : si c’est un garçon, que fait-il là ? Après avoir enlevé mon t-shirt, je vois dans leur regard ce que je redoute à chaque fois : j’ai des formes de fille, je suis donc une fille. Ce qui est un dispositif de sécurité pour moi devient quelque chose qui nie mon identité aux yeux des autres participants, ce qui n’est pas l’objectif poursuivi par mon coach.

Un réel danger

Un autre jour, je me rends dans le vestiaire des garçons dans un club de sport avec mon frère, assez baraqué pour intervenir en cas d’altercation (parce que oui, il faut y penser : même si je suis un garçon, je suis là, avec mon corps identifié par les autres comme un corps féminin, seul dans un vestiaire, entouré d’hommes en sous-vêtements et c’est une situation que l’on m’a appris à craindre. Si certains me voient comme une fille, il se pourrait qu’ils me fassent du mal. S’ils me voient comme un trans, la situation pourrait vite devenir dangereuse pour ma sécurité.)

Je profite donc d’être accompagné de mon frère pour éviter les problèmes. Tout se passe bien avant l’entrainement, car personne ne fait attention à moi qui ai le corps tourné vers le casier. Au déshabillage par contre, un homme regarde d’un peu plus près, interloqué par mon « binder » (vêtement de compression de la poitrine, ndlr).

Un regard éloquent de mon frère, qui me présente (au masculin) comme de sa famille, les poings serrés, suffit à ce qu’il n’y ait ni remarques, ni autre chose. J’encaisse en silence l’incident, pendant que les autres hommes discutent entre eux des « femmes » et de leurs exigences, comme si c’était dans « leur nature » de vouloir imposer leur volonté aux mecs. Gros moment de malaise, où j’aimerais leur signaler que j’ai des ovaires, et donc qu’ils parlent aussi un peu de moi. (En effet, leurs remarques ne prêtent pas à confusion : il ne s’agit pas tellement « des femmes » que « des personnes ayant un vagin », dans leur système binaire et cissexiste.)

Mais si je réagis, j’attire l’attention sur moi. Alors, pour faire partie de la communauté des hommes, j’acquiesce en souriant, laissant croire que je suis bien d’accord avec leurs idées arriérées et machistes. Je suis sorti de là apeuré et désemparé, en concluant que ce serait toujours comme cela : mon apparence physique semble être suffisante pour qu’on me reconnaisse comme homme quand je suis habillé, mais dès que je serai dans les vestiaires, je serai en danger si on découvre que je ne suis pas un homme cisgenre.

Ces expériences m’ont poussé à reconnaître l’utilité des toilettes et des vestiaires où tous les genres sont les bienvenus. J’en suis arrivé à la conclusion que je ne sais pas où est ma place dans ces toilettes et vestiaires binaires : je me sens comme un garçon dans le vestiaire des filles, mais comme une fille dans le vestiaire des garçons.

Lors de l’installation en Flandre de toilettes pour tous les genres, j’ai lu beaucoup de commentaires Facebook (je sais, c’est masochiste de lire les commentaires sur Internet !) qui disaient qu’il y avait d’autres problèmes, ou encore que ce n’était pas un souci qu’un garçon aille aux toilettes chez les filles, qu’on n’allait pas en faire une « histoire d’Etat » (alors que d’autres causes sont tellement plus importantes !). Mais en fait, c’est bel et bien une affaire d’Etat, pour que certain.e.s citoyen.ne.s ne soient pas traité.e.s comme des citoyen.ne.s de troisième zone, mais aussi et surtout pour une question de sécurité : outre le fait que cela ouvre la porte (des vestiaires) aux harcèlements verbaux, il y a aussi un risque d’agression physique (et sexuelle) pour les personnes transgenres. La situation idéale serait que tout le monde s’en fiche, mais tant que ce ne sera pas le cas, en refusant de réfléchir à des solutions à court terme, c’est la santé des nôtres que la société met en danger.

Maxence, membre d’IdenTIQ

  • Transgenre : personne qui ne se reconnait pas dans le genre qui lui a été assigné à la naissance
  • Cisgenre : personne qui se reconnait dans le genre qui lui a été assigné à la naissance
  • Cissexiste : définit ce qui est discriminatoire envers les personnes transgenres et lie systématiquement les organes génitaux au genre