Les bénévoles des CHEFF reviennent à peine de leur première participation au village des possibles (village associatif) à Esperanzah, les cheveux gras et les pieds poussiéreux. L’organisation a pour habitude de choisir chaque année un thème central à décortiquer. Pour cette édition 2019, il s’agissait de « démasquer nos privilèges ». Nous étions le seul stand à aborder la question du privilège hétérosexuel et/ou cisgenre, aux côtés de partenaires déconstruisant le privilège blanc ou encore le privilège masculin. En effet, le point de départ de cette réflexion théorique est « là où le système défavorise des personnes sur base de leur sexe, de leur genre, de leur couleur de peau ou encore de leur orientation sexuelle… et bien il en favorise d’autres. » Si une personne noire est recalée à l’embauche, une personne blanche prend la place : au-delà de son mérite, elle bénéficie d’un privilège. Et il en va de même pour tout. Interrogeons donc nos privilèges, car nous en avons toutes et tous !

Ainsi, nous avons recensé une série de situations bien ou mal vécues par nos jeunes membres LGBTQI (Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, Queer, Intersexué.e.s). Certaines sont anecdotiques, d’autres sont des moments charnières de leurs vies. Nous les avons lues au public avec deux objectifs en tête : 1) leur faire prendre conscience de tout ce à quoi on échappe en tant qu’hétéro cis 2) les inviter à réagir sur la posture de l’autre (le parent, le/la passant.e,…) qui est cité.e dans l’exemple. Certaines situations peuvent faire figure d’exemple, car la personne non concernée adopte une attitude d’allié.e. D’autres, par contre, relèvent soit des LGBTQIphobies, soit basculent du côté obscur de la force et dessinent les contours du/de la sauveur/euse.

Pour y voir plus clair, voici de manière synthétique comment les jeunes des CHEFF distinguent la posture idéale (celle de l’allié.e) et la posture too much (celle du/de la sauveur/euse). Cela s’applique à la lutte contre les  LGBTQIphobies, mais est facilement transposable à d’autres combats.

  1. Solidarité vs charité
  2. Posture d’humilité vs posture de tolérance/d’autorité : se mettre en position de juger « qui est intégré et qui ne l’est pas », « qui est respectable et qui ne l’est pas », c’est déjà se mettre au-dessus de la mêlée
  3. Sans cesse en questionnement vs fige ses croyances : être persuadé d’avoir cerné une catégorie de personnes, quelle qu’elle soit, et enfermer toutes les personnes appartenant à cette « communauté » dans nos croyances ne peut être synonyme d’ouverture
  4. Pratique l’introspection, passe en revue ses privilèges et ses biais cognitifs vs pratique l’introspection essentiellement pour se féliciter d’être une bonne personne : mieux vaut partir du principe qu’on n’est jamais totalement déconstruit.e et que même au terme d’années de réflexion, on peut encore avoir de vieux réflexes « pas safe »
  5. Démarche d’autopédagogie vs se place comme connaisseur/euse : voir le chemin qui reste à parcourir, plutôt que celui déjà parcouru, et continuer de s’informer et de réfléchir
  6. Approche de la complexité vs approche dichotomique : le monde et les individus sont complexes : accepter donc de ne pas tout contrôler, de ne pas tout savoir, tenter de comprendre les militant.e.s et ce qu’iels disent et pourquoi iels en sont là
  7. Déconstruit la norme vs déplace la norme
  8. Lutte contre un système vs lutte pour les « bons » contre les « mauvais » : dire que « eux, ça va, par contre ceux-là vraiment ils exagèrent » n’est pas une attitude souhaitable
  9. Se détache de la morale vs est empreint.e de morale : prenons de la distance avec la bien-pensance
  10. Questionne la loi/l’autorité vs est du côté de la loi/de l’autorité
  11. Réel soutien vs paternalisme/misérabilisme : « aider tous ces pauvres gens » est une attitude qui se heurte très vite à ses propres limites
  12. Ecoute beaucoup, parle quand c’est nécessaire vs parle beaucoup, écoute très peu : l’allié.e idéal.e se tait beaucoup et ne parle dans une assemblée que quand aucune personne concernée n’est en mesure de le faire
  13. Croit en l’autodétermination vs colle des étiquettes aux autres : les étiquettes, c’est super quand ça sert à se les coller à soi-même pour se sentir moins seul.e
  14. Respecte les limites des premier.e.s concerné.e.s vs épuise les premier.e.s concerné.e.s : bien ou mal intentionné.e, quand on en fait trop, on épuise les premier.e.s concerné.e.s
  15. Tend vers un idéal, ne prétend pas l’atteindre vs s’autoproclame allié.e ou sauveur/euse
  16. Sert une cause
  17. , ne se sert pas de cette cause vs « j’ai un.e ami.e qui » : instrumentalisation
  18. Altruisme vs narcissisme
  19. Ne souligne pas chez l’autre sa différence vs renforce le fossé vous/nous : rappeler sans cesse à l’autre sa différence, même sur le ton de la blague, dénote un besoin de se distancier
  20. Perçoit les discriminations comme structurelles vs comme des incidents : le racisme, le sexisme, les LGBTQIphobies, ne sont pas juste le fait d' »un con qui passait par là », mais bien de tout un système hiérarchisant les individus
  21. Distingue le structurel et le pur interindividuel vs suggère des symétries qui n’existent pas : s’il peut être désagréable de se faire charier en tant que personne hétéro cisgenre, cela ne peut pour autant être extrapolé à de l’hétérophobie : on ne peut isoler un fait de son contexte social
  22. Travaille à un réel changement vs n’a pas vraiment intérêt à ce que ça change
  23. Comprend les stratégies d’organisation (non mixité, quotas, etc.) vs se vexe et rejette ces stratégies : si on part du principe que ce système repose en grande partie sur des procédés inconscients, on peut conclure qu’on ne le changera pas uniquement avec de la bonne volonté. Il faut mettre en place des garde-fous, des mécanismes de compensation, sur le court et moyen terme, comme les quotas. Les réunions en non mixité sont aussi essentielles pour permettre aux minorités d’organiser leurs luttes de façon efficace, sans s’encombrer de pédagogie.

Il nous parait important de conclure sur trois précautions :

  1. Personne n’est l’allié.e parfait.e : dans notre cheminement personnel, nous avons tou.te.s un jour eu une phrase, une attitude de sauveur/euse
  2. Ce n’est pas parce qu’on est concerné.e qu’on est un.e bon.ne allié.e à sa propre cause
  3. Avoir le sentiment d’oeuvrer à un monde meilleur est valorisant et tant mieux, car cela est un moteur essentiel des luttes en général. Nous ne souhaitons pas envoyer le message qu’il ne faut pas être fier.e de soi et de ses combats, à condition seulement que ça ne prenne pas toute la place…