Un jour d’été, chaud et lumineux, plusieurs nuages blancs dans le ciel.
Je me trouvais sur une place près de chez moi quand je l’ai vue, souriante, radieuse. Elle était entourée d’ami·e·s. Nos regards se sont croisés, elle s’est
avancée vers moi. Puis, nous avons échangé quelques mots, en marchant dans une rue adjacente.
J’avais cette impression que nous n’étions plus que nous deux, à plusieurs mètres à la ronde. Les passant·e·s n’existaient plus et le reste de la ville, avec ses bâtiments et sa circulation, était flou autour de nous. Elle finit par me dire, dans un sourire, qu’elle devait partir pour reprendre son train. Ensuite, elle tourna les talons vers l’arrêt du bus pour se rendre à la gare. De ma main gauche je saisis la sienne, la ramenant près de moi, son dos à quelques millimètres de ma poitrine. Le temps d’une seconde fugace, les papillons dans mon ventre se réveillèrent. Je plaçais mes bras autour de ses hanches, et l’emmenai doucement avec moi, pour poser mon dos contre une façade. Tout en la maintenant contre moi, je lui murmurai à l’oreille : « Essaie de te libérer…! », sur un air espiègle plein de défi, pendant que les papillons de mon estomac s’affolaient. C’est alors que nous nous sommes mises à rire pendant qu’elle se débattait gentiment, au rythme de ces petites chamailleries innocentes d’enfants insouciant·e·s.
Je la sentais tenter de se défaire de mon étreinte en riant, sans sembler vouloir faire lâcher mes mains. Elle tirait sur mes bras sans force réelle, comme si elle se sentait bien dans mon accolade et qu’elle voulait simplement entrer dans le jeu. En deux temps trois mouvements, nous voilà face à face, enlacées, poitrine contre poitrine, le menton déposé dans le creux de l’épaule de l’autre. Nous sommes restées quelques secondes comme ça, silencieuses, à reprendre notre souffle et à écouter nos respirations s’accorder. Un son, une parole, avait envie de faire vibrer mes cordes vocales. Dans un demi-soupir, je m’entendis lui chuchoter cette phrase, ô combien libératrice:
– Je n’ai jamais eu autant envie de t’embrasser.
Mon coeur s’emballait alors que ces mots furent prononcés, et s’arrêta de battre sitôt le silence revenu entre nous. Il m’a semblé vivre les trois secondes les plus longues de ma vie…
Dans un ultime sentiment de courage et d’euphorie, j’osai lui embrasser le cou du bout des lèvres une fois – j’eus l’impression qu’elle m’offrait le creux de sa nuque -, deux fois – qu’elle me l’offrait de plus en plus -, trois fois… Nos têtes reculèrent tout doucement. Nos joues se frôlèrent – comme sa peau est douce! Nos regards se croisèrent, en un fragment de vie. Le temps paraissait suspendu. Nos yeux se fermèrent en même temps, presque instantanément.
Ensuite, une explosion de bonheur et de peur, d’euphorie et de doute m’envahit. Un feu d’artifice aveuglant de beauté secoua tout mon être : le doux contact de sa bouche, puis la chaleur de sa langue contre la mienne, et la sensation de son corps qui se serre plus fort contre le mien… Le temps d’un baiser, si long et si court à la fois, je me sentais exaltée, transportée au-dessus des nuages. Propulsée dans une dimension en dehors du temps, où nous étions seules. Je ne sais combien de temps cela a duré. Je reculai de quelques centimètres. On a échangé un regard complice, rempli de cette affection propre à une relation qui naît, tout en souriant.
15 jours plus tard, même endroit
Je lui donnai un tendre baiser, qu’elle me rendit passionnément. Une question me brûlait les lèvres, et ce fut impossible pour moi de ne pas la poser. Je l’ai regardée dans les yeux et je lui ai dit le plus sereinement possible:
– Est-ce que toi et moi ça aurait été possible plus tôt?
Après un moment de réflexion elle m’a répondu, intriguée:
– Je ne pense pas… Pourquoi?
Ayant peur de sa réaction et d’affronter son regard, en me serrant plus près d’elle, je révélai:
– Parce que, même si je n’ai pas voulu l’admettre tout de suite, tu m’as plu dès la première fois où je t’ai vue…
Je sentis une petite hésitation de sa part.
Elle recula légèrement, se décolla de moi en gardant ma main dans la sienne. Sa bouche dessinait un sourire en coin un peu triste. Je lus dans ses yeux comme une peur de souffrir, ou de faire souffrir. Ou était-ce les deux à la fois? Pour tenter de la rassurer, je lui dis que pour moi le jeu en valait la chandelle.
Elle lâcha brusquement ma main, fit un pas en arrière et me rétorqua, avec un air de reproche:
– Alors pour toi ce n’est qu’un jeu, et je suis une « chandelle » avec laquelle tu joues?
Son sous-entendu me heurta de plein fouet.
Comment pouvait-elle penser qu’elle n’était qu’une personne banale, une passade? Tant bien que mal, sonnée de ce coup de poignard porté à mon cœur, je fis un pas vers elle et m’expliquai, tout en la ramenant doucement dans mes bras:
– Non, bien sûr, ce n’est qu’une expression… Ce que j’ai voulu dire, c’est que l’amour, bien qu’il fasse souffrir, est la plus belle chose qu’il soit, la raison pour laquelle nous sommes sur Terre! Et qu’en tombant amoureuse, je suis prête à prendre le risque de souffrir pour toi. » Dans ce moment de tendresse, j’eus l’impression de ressentir de sa part un imperceptible soupir de soulagement. Un soupir d’une fraction de seconde, accompagné du retour de son sourire.
Soudain c’est le réveil, brutal. Mes chats dorment à côté de moi et je suis seule dans mon lit, par un matin d’hiver…
Pourquoi ce rêve? Je pensais pourtant être passée au-delà de ce béguin, aussi fort fut-il – ou plutôt devrais-je dire « soit-il ». Avoir rêvé d’elle me perturbe un peu, beaucoup même. Bien plus que je ne veux l’admettre, en fin de compte.
Pourtant, un point positif s’impose à moi : mon inconscient, mon moi intérieur m’envoie un signal. Le signal que je crois encore en l’amour, que je veux croire au bonheur et que je finirai par trouver cette fille. La fille qui me rendra heureuse et que je rendrai heureuse en retour.
Nouvelle rédigée par Jessica, membre du CHEL, ayant gagné le concours de nouvelles littéraires LGBTQI à orthographe inclusive lancé par le Rédac’CHEFF, la revue trimestrielle des CHEFF