L’homonormativité… derrière ce terme ésotérique se cache un sentiment que nous avons déjà presque tou·te·s expérimenté au moins une fois dans notre vie : le désir d’être « normal·e », d’être accepté·e, malgré notre différence. Ne pas paraître trop masculine si l’on est lesbienne, pas trop féminin, si l’on est gay. Surveiller sa tenue, ses gestes et son timbre de voix pour s’assurer que ça ne se remarque pas. Trouver l’Amour, le vrai, celui avec un grand A et un beau mariage.

De manière plus pernicieuse, ce désir nous a parfois poussé à chercher à nous démarquer des « mauvais·e·s » LGBTQI. Bien montrer qu’on n’est pas une folle ou une camionneuse et trouver que, quand même, c’est un peu de leur faute, l’homophobie. Les tolérer en tant qu’ami·e·s, mais jamais en tant qu’amant·e·s, ou alors juste un soir, un peu honteusement. Se distancier au maximum des personnes transgenres, nous on aime juste les personnes du même sexe, on n’est pas comme ces gens-là. Penser que la Pride donne une mauvaise image de nous, que les associations LGBTQI sont trop extrémistes et font pire que mieux. Renier le « communautarisme », de peur d’être assimilé·e à sa communauté. Juger celles et ceux qui enchaînent les coups d’un soir, les saunas, les backroom, parce que ce n’est pas sérieux et qu’on n’est pas comme ça, nous, il ne faut pas nous mettre dans le même panier. D’ailleurs, s’ils venaient à attraper des ISTs ou le SIDA, ce serait un peu leur faute, ils n’avaient qu’à se montrer plus responsables.

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L’homonormativité, c’est tout ça et il semble évident que ce genre d’attitudes ou de pensées, ne peuvent mener qu’au rejet, qu’à la création d’une minorité au sein de la minorité, ce qui est déjà le cas. Que celles et ceux qui sont familier·e·s des applications de rencontre osent le contredire : il est impossible de ne pas tomber sur un profil précisant qu’il ne cherche pas de folle ou cherchant à montrer qu’il est différent, qu’il vaut mieux que ça. Quant à la transphobie, elle est omniprésente, parfois même jusqu’au sein du refuge que nous tentons de créer aux CHEFF.

Même GrIS Wallonie, une association pour laquelle j’ai le plaisir d’être bénévole tombe parfois dans ce travers. L’objectif est de déconstruire les préjugés des jeunes sur l’homosexualité et la bisexualité en allant témoigner sur son vécu dans les écoles secondaires. Le résultat est généralement excellent et je ne saurais trop insister sur l’utilité d’une telle démarche. Néanmoins, certaines fois, le discours se teinte d’homonormativité, même si je n’ai encore jamais assisté à des jugements comme ceux décrits plus haut. Effectivement, nous essayons parfois de trop montrer que nous sommes comme eux, au risque d’arrondir les angles et de gommer un peu ce qui fait que nous sommes nous.

Le mariage bien arrangé

Les avancées concernant les droits des LGBTQI furent fulgurantes ces dernières décennies. Il y a 27 ans, l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale. Aujourd’hui, en Belgique, il nous est possible d’être protégé légalement des discriminations, de nous marier et d’avoir des enfants. Cependant, de nombreuses inégalités existent encore : les homosexuel·le·s ont 4,5x plus de chance de commettre une tentative de suicide que les hétéros. Les bi·e·s, 5,2x et les personnes transgenres…14x ! Ces chiffres terrifiants proviennent du climat homophobe et transphobe qui règne toujours. Pour les mêmes raisons, l’abus de substance est également plus courant chez les personnes LGBTQI. Au niveau de la santé sexuelle, notre communauté reste frappée par le VIH/SIDA et d’autres ISTs. Les personnes transgenres doivent subir, pour quelque temps encore, des démarches lourdes dans l’espoir de faire changer leur genre sur leur carte d’identité, démarches incluant une psychiatrisation des transidentités ainsi que la stérilisation.  Ces difficultés administratives combinées à la très forte transphobie encore présente poussent de très nombreuses personnes transgenres dans la précarité.

Les personnes intersexes, quant à elles, sont toujours mutilées à la naissance pour les faire rentrer dans le moule de la binarité hommes/femmes.

La question mérite donc d’être posée : pourquoi avoir fait du mariage et de l’adoption une priorité absolue et pas les droits des personnes transgenres, par exemple ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu le même engouement et la même vigueur pour combattre les autres injustices, une fois la question du mariage réglée ? La leçon française est assez édifiante à ce propos, lorsque l’on considère l’abandon pur et simple de la promesse d’ouvrir la PMA aux couples de femmes juste après la victoire douce-amère du mariage pour tous. La leçon belge est encore plus amère, lorsqu’on réalise que le mariage homosexuel est permis depuis bientôt 15 ans mais que les personnes transgenres doivent toujours se faire stériliser pour faire changer leurs papiers.

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L’homonormativité est une des raisons derrière cela. Le mariage permet en effet d’emprunter un chemin de vie respectable qui ne remet pas ou peu en cause les institutions hétérosexuelles ni les questions de genre. Comme si le mariage permettait de « responsabiliser » les homos, de les faire rentrer dans le rang. En d’autres termes, si l’ouverture du mariage aux couples homosexuels peut sembler révolutionnaire sur le papier, elle nous permet juste de nous inscrire dans le moule traditionnel, sans apporter de changements profonds au dit moule. C’est justement cette non-révolution qui permet à des partis tièdes tels que le PS de François Hollande de proposer ce genre de projets de loi, et à d’autres, tels que Macron, à s’en contenter et à ne chercher qu’à le protéger. L’avantage est énorme : on peut s’enduire du vernis du progressisme sans avoir vraiment fait progresser les choses. De la même manière, aux USA, les couples homosexuels ont le droit de se marier…mais les personnes transgenres doivent toujours se battre pour aller dans les toilettes correspondant à leur genre.

Cela ne veut évidemment pas dire que nous ne devons pas nous réjouir de voir cette inégalité réglée et de chercher à protéger nos acquis sociaux. Cela ne signifie pas non plus que nous devrions nous abstenir de nous marier. Toutefois, cela devrait nous pousser à demander plus, à se battre pour plus de changements, pour plus de libération sexuelle, de libération des genres, pour changer les mentalités, réduire les inégalités toujours davantage. Le mariage homosexuel ne constitue pas l’aboutissement de nos luttes, comme c’est souvent perçu, au sein de la communauté ou dans le grand public, mais bien le début.

Ces LGBTQI qui (f)ont mauvais genre

Une des limitations les plus frappantes dans la quête de la normalité est celle du genre. Les discours actuels et considérés comme progressistes autour de l’homosexualité tendent à gommer au maximum les différences entre homos et hétéros. On essaye de faire comme s’il était toujours impossible de deviner l’orientation sexuelle, tout en insistant bien que les folles et les camionneuses ne représentent pas la totalité de la communauté. Souvent, cela va même jusqu’au rejet le plus total, l’agacement, voire le mépris des personnes trop efféminées ou trop masculines.

Et c’est là l’essence du problème de l’homonormativité : le rejet de la différence au sein de la différence. La volonté de paraître respectable aux yeux d’une société aux normes sexuelles et genrées encore strictes qui peut nous pousser à nous distancier des gens qui nous rappellent une différence que l’on partage. L’exemple paroxystique de cet état d’esprit est une pétition qui avait circulé il y a peu et qui portait le charmant nom de « Drop the T ». L’objet de ce document était de se débarrasser du T de transgenre dans LGBT, argüant, en résumé, que les homos et bi·e·s n’avaient rien à voir avec les personnes transgenres et que ces dernières donnaient une mauvaise image du mouvement. Aussi extrême que soit cet exemple, il n’est pas si éloigné du mode de pensée de celles et ceux qui, faisant partie de la communauté LGBTQI, estiment que les droits des personnes transgenres ne sont pas une priorité, alors que c’est tout le contraire.

Les personnes séropositives ont également fait les frais de cette homonormativité. Le SIDA était d’abord vu comme une maladie ne touchant que les gays, d’où son premier nom de « cancer gay » puis de « gay related immune disease » (maladie immune liée aux gays). Si cela est évidemment faux, les hommes ayant des relations avec d’autres hommes (HSH) restent disproportionnellement touchés par le SIDA. Plutôt que de s’intéresser à la pluralité des raisons biologiques, sociologiques et comportementales qui expliquent cet état de fait, la réaction homophobe fut d’associer définitivement cette maladie aux HSH et à trouver des explications telles que « les homos couchent tout le temps et avec n’importe qui ».

Malheureusement, une réponse homonormative a fini par émerger : « Non, les homos ne couchent pas tout le temps et avec n’importe qui », mettant de facto ceux qui mènent une vie sexuelle plus active et/ou avec plus de partenaires à l’écart. Pire encore, s’ils attrapaient le VIH, c’était de leur faute et les personnes séropositives sont perçues comme menant une vie dissolue.

Par conséquent, le problème bien réel de l’épidémie de VIH chez les HSH a parfois été minimisé voire nié afin de ne pas stigmatiser les HSH et les séropositifs, mis de côté.

Récemment, une campagne de prévention SIDA a fait les gros titres en France car plusieurs maires et associations homophobes avaient appelé à la faire retirer (et étaient parvenus à le faire dans certaines villes).

Aulnay-sous-Bois-interdit-des-affiches-de-prevention-du-sida-montrant-des-homosexuels

Les arguments homophobes classiques y passaient, notamment « des enfants peuvent voire deux hommes se faire un câlin, quelle horreur ». Plus surprenant, j’ai pu voir des homophobes et des homos employer le même argument : « Ça donne une mauvaise image des homosexuels » car parler de « coup d’un soir » ou de rapports « avec un ami, avec un amant, avec un inconnu » donne l’impression que les homos sont volages.

Que cette remarque provienne de la bouche hypocrite d’affiliés à la manif pour tous qui essayaient de justifier leur homophobie, soit. Néanmoins, de la part d’homosexuels, c’est décevant. Le fait d’être volage ne devrait pas être perçu aussi négativement au sein d’une communauté qui n’existe que grâce à la libération sexuelle. Dépouiller cette libération de la possibilité d’avoir des relations sexuelles librement consenties avec qui l’on veut, quand on le veut revient à abolir toute libération. La question n’est pas de savoir si les HSH sont volages ou pas, la question devrait plutôt être « En quoi est-ce important ? En quoi multiplier les relations (protégées) et les partenaires devrait-il être un problème ? ».

On retrouve à nouveau cette tentation de bien paraître, de se fondre dans le moule quitte à exclure autrui (les « volages », dans ce cas) et à vouloir se débarrasser d’une campagne de santé publique…

[…]

Pour conclure cet article, je tiens à préciser que lutter contre l’homonormativité ne revient pas à rabaisser le mariage homosexuel, l’adoption, la monogamie, qui n’ont rien de mal et qui conviennent à nombre de personnes LGBTQI. L’objectif de cette critique est de faire en sorte que cette voie plus traditionnelle ne devienne pas la seule voie valorisée car cela se ferait aux dépens d’autres manières de vivre sa sexualité et ses relations, aux dépens des personnes transgenres ou avec une expression de genre atypique, aux dépens, en somme, de la pluralité de notre communauté. Car notre drapeau n’est pas unicolore. Il est arc-en-ciel.

Maxence, membre du CHEN