C’est cette fameuse soirée au restaurant où nous n’étions que deux filles avec plein de garçons. On dit souvent que les femmes parlent plus que les hommes, mais en réalité ce sont souvent les hommes qui tiennent la conversation, qui monopolisent la parole. Observez bien quand vous irez boire un verre entre ami·e·s. Je n’avais jamais vraiment compris pourquoi jusqu’à ce soir au restaurant. Non seulement, nous n’étions que deux femmes qui ne nous connaissions pas bien – dur de trouver une conversation pour moi, étant timide, dans ce contexte – mais ajoutez à cela qu’à bien écouter ce qui se disait, je me rends compte qu’il n’y a que des propos sexistes. Des blagues sexistes. Une conversation remplie de « elle est dégueulasse », « elle est bonne », « celle-là j’me la ferais bien » et autres joies. Je me passerais bien d’une soirée comme ça. Et à ce moment, la dure réalité de ce que signifie « être une femme » me revient en plein dans la figure. Un gros dilemme entre intervenir et leur dire ce que je pense et, à ce moment précis, devenir celle qui casse l’ambiance, celle qui n’a pas d’humour parce que, oui, c’est bon, c’est juste pour rire. Ou m’abstenir de dire quoi que ce soit, me taire, essayer de ne pas entendre, de ne pas écouter, rentrer dans une bulle, me blaser et, au final, ne pas profiter de cette soirée. J’aboutis à la même conclusion dans les deux cas : être frustrée de ne pas dire ce que je pense ou être frustrée parce qu’en le disant, ça ne fait que se retourner contre moi. Le pire est alors quand cette autre fille, la seule potentielle alliée, s’y met aussi, parle d’une autre en des termes comme « la grosse » ou « celle qui est bonne » et parle à son tour de manière oppressante. Et oui, ça me gêne, ça me dégoute, ça m’énerve. Mais je ne peux pas la juger, parce que j’ai été comme ça, on est beaucoup à avoir été comme ça avant de comprendre et de réussir à se déconstruire, parce que je vois que c’est son moyen à elle de s’intégrer au groupe et à la conversation. Et ça continue comme ça… tout le temps.
C’est à force de soirées comme celle-là que j’ai affuté ma vigilance. Etre vigilante, c’est être en boîte ou dans un bar et passer la main dans mon dos tout en checkant le mec qui passe derrière moi, juste au cas où, parce qu’il est potentiellement celui qui me mettra la main aux fesses. Être en alerte constante parce que je ne veux pas revivre ça. C’est lire des témoignages de femmes qui ont été harcelées ou agressées, encore une fois. Ces femmes qui ont été abusées ou violées par leur copain, sans se rendre compte tout de suite que, non, ce n’est pas normal. Que, oui, c’est lui le mauvais. Que, non, elles n’y sont pour rien. C’est prendre des cours de Krav Maga, ou autre self-defense, juste « au cas où », parce que dans la rue, on ne sait jamais. C’est cette soirée où un mec me lance que je n’y connais visiblement rien au sexisme parce que j’ai abusé, exagéré, de m’être mise en colère et d’avoir pleuré quand ils m’ont fait une blague bien lourde et humiliante et de ne pas vouloir leur pardonner parce que je ne trouve pas ça drôle. Quand je suis avec un ami, que c’est un énième débat sur le harcèlement de rue, et qu’après une heure trente à essayer de faire comprendre qu’en tant que concernée je sais sûrement mieux que lui ce que ça fait, il me répond que « oui, mais bon, moi j’ai une amie qui s’est fait sifflée en rue et qui a apprécié ». UNE. Je te parle de ce que je vis tous les jours, de ce que l’on vit tous les jours. Je t’explique ce que ressentent plein, plein de personnes victimes de harcèlement. Et pour essayer de casser mon argumentaire, tu me dis que tu connais UNE personne sur toutes les habitantes de la Terre à qui ça n’a pas fait de mal. Toutes ces discussions où je m’épuise à essayer de faire comprendre ce que je vis et qui, au final, ne servent à rien parce qu’ils n’écoutent pas, ne me croient pas, ne sont pas d’accord. C’est ce gars qui me touche les fesses parce que je suis penchée à côté de lui. Celui que je fais sortir dehors pour lui dire ce que je ressens, que ça me blesse, qu’il n’a pas à me toucher, qu’il n’a pas à faire ça. Ce gars qui me répond que ça ne sert à rien, que je parle à un mec bourré. Parce qu’apparemment si tu es bourré, tu peux faire tout le mal que tu veux. C’est quand on me dit de laisser tomber, que « de toutes façons, c’est des cons », oublie, tu t’en fous. Non, je ne m’en fous pas. Non, je ne veux pas laisser tomber, faire semblant de rien et vivre comme ça. Je veux vivre sans avoir à subir tout ça, pas vivre avec et essayer de m’en accommoder. Parce que ce n’est pas normal. Parce que je n’en peux plus. Parce que je dois ressentir ça tous les jours et que c’en est trop.
C’est aussi quand j’entends des propos tout à fait discriminants sur des personnes homosexuelles ou transgenres, propos que j’essaie tant bien que mal de déconstruire. Et cette frustration parce que j’essaie de faire comprendre pourquoi ces propos sont discriminants, mais ne pas savoir bien en parler n’étant pas concernée. C’est toutes ces petites blagues qui ne visent jamais d’homme cis hétéro blanc. Car du coup, il n’y a rien de drôle. C’est cette amie qui dit que j’exagère un peu. C’est ce type qui dit que le féminisme, c’est quand même un peu extrême. Je risque apparemment de blesser ton triste égo en te rappelant que tu tiens des propos racistes, sexistes, transphobes, et j’en passe. C’est toutes ces petites choses de la vie qui commencent à réellement me taper sur le système, et qui passent inaperçues aux yeux de la société. Je suis désolée, parce que je voulais écrire un texte positif, un texte qui décrit comment le combat féministe avance et comment on va changer le monde – parce que, oui, je crois toujours qu’on arrivera à le changer. Mon but au départ n’était pas d’écrire quelque chose de négatif. Mais je n’ai pas pu, c’était mon coup de gueule. Parce que mes soirées se résument à ça finalement, un grand mélange de joies et de frustrations en même temps.
Loo, proche du CHELLN