Disney a toujours été beaucoup critiqué pour ne proposer que des modèles réducteurs et sexistes (l’homme qui sauve toujours la fille, les filles victimes et soumises par défaut, etc.), mais je ne veux pas accuser Disney d’hétéro-cis-normativité. Le studio évolue simplement avec son temps, ce n’est pas lui qui décide de ce qui est bon à mettre à l’écran ou pas, Disney reflète juste les envies et les idées de son époque. Il n’y a qu’à voir l’évolution des princesses Disney au fil des années et leur but dans la vie pour confirmer cette impression :

Années 1950 – Blanche-Neige, Cendrillon et Aurore :

Veulent trouver l’amour, se marier et être femmes au foyer.

Années 1990 – Ariel,  Belle et Jasmine :

Veulent vivre leur vie et aimer librement qui elles veulent.

Années 2010 – Raiponce et Tiana :

Veulent accomplir leurs rêves (autres que de se marier) et y parviennent (mais trouvent l’amour en chemin).

 

Je ne parle pas de Mulan, de Pocahontas ou des autres héroïnes Disney qui ne sont pas vraiment des princesses pour moi, mais leurs buts dans le récit sont aussi choisis en fonction du contexte de la création des personnages.

Pourquoi je commence cet article en parlant des « gentilles » bien hétéros et bien dans leurs rôles genrés ? Car les méchantes Disney sont l’exact Ursula7opposé. Réfléchissez-y : la Méchante Reine, Lady Tremaine, Maléfique, Ursula, etc. Toutes maquillées à l’extrême, des visages anguleux voire masculins, totalement indépendantes et ne vivant que pour elles-mêmes, et dotées de beaucoup de classe, soyons honnêtes. Cette ambiguïté sur le genre (qui fait contraste avec les princesses et leurs rôles genrés) n’est pas anodine. Ce sont des anti-princesses, des anti-hétéro-cis. Elles jouent avec le genre, le maquillage et leur féminité poussée à l’extrême, tout en ayant un petit « je-ne-sais-quoi » de masculin qui les rend inquiétantes. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, LES DRAG QUEENS. Attention, je ne dis pas que les méchantes sont des hommes qui se déguisent en femmes, mais leur personnalité et leur façon d’être sont calquées sur ce genre de personnages.

Ursula est divine

Pour preuve cet exemple : les réalisateurs de La Petite Sirène admettent s’être inspirés de la Drag Queen « Divine » pour imaginer le personnage d’Ursula (la sorcière des mers). Sorcière qui d’ailleurs, au détour d’une chanson, explique à Ariel que si elle veut vivre sur terre, elle n’a pas besoin d’avoir de la conversation pour séduire un homme, elle n’a qu’à battre des cils et être belle (ce qui fonctionne, en plus). On est bien face à la méchante Drag Queen qui critique les rôles genrés de la société et ses clichés sexistes. N’est-ce pas là d’ailleurs, un des buts premiers des Drag Queens : rire et jouer de tout ça ? J’aime l’idée que les réalisateurs utilisent les méchantes de leurs histoires pour faire passer un autre message implicite. Et puis La Petite Sirène est, pour moi, une totale métaphore de l’homosexualité : une jeune fille fascinée par un monde que son père lui interdit de visiter, lui répétant sans cesse que « un humain et une sirène, c’est contre-nature », obligée de vivre clandestinement son amour, alors qu’il aurait simplement fallu que son père l’accepte telle qu’elle est pour qu’elle soit enfin heureuse comme on le montre à la fin du film… Avez-vous remarqué le joli arc-en-ciel que le roi Triton crée au-dessus du bateau de mariage de sa fille ? Le conte original est d’ailleurs une sorte de lettre d’amour écrite par Hans Christian Andersen, amoureux de Edvard Collin, et ressentant cet amour impossible comme une sirène pourrait être amoureuse d’un humain… Tout un symbole ! Mais on s’égare…

JafarEt les méchants dans tout ça ? Le capitaine Crochet, Jafar, Scar, Hadès, Dr Facilier, le gouverneur Radcliff ? Hé bien c’est plus ou moins la même chose. La coquetterie de Crochet et de Radcliff, la démarche et les attitudes féminines de Scar (et l’impression qu’il ait du mascara), le côté posé, hautain et efféminé de Jafar et de Facilier… Oui, même les méchants ont un côté féminin très prononcé et jouent aussi avec le genre. Ils n’échappent pas à la règle !

Doit-on en conclure que Disney utilise les personnes ambiguës et non-conformes au genre et aux mœurs de la société de l’époque comme méchant·e·s parce qu’ils/elles sont l’exact exemple de ce que la société rejette (et que, du coup, c’est plus facile de les détester) ? Possible… Sans rire, la Méchante Reine de Blanche-Neige qui vit seule, sans avoir besoin d’un homme, et qui ne s’occupe que d’elle-même et de sa vie en toute indépendance, vous l’imaginez dans un rôle féminin positif en 1937 ? Une femme forte et insoumise ? Quand on voit le modèle qui est mis en avant pour les filles à l’époque (Blanche-Neige, la douce femme au foyer bienveillante, soumise aux hommes, belle et qui n’a pour seul but que de se marier) on peut en douter fortement. C’est symptomatique des rôles féminins de l’époque, mais j’aime énormément l’idée que ce soient des Drag Queens qui aient endossé les rôles des méchant·e·s Disney, car c’est leur rôle de dénoncer et d’être contre la société, critiquer les stéréotypes de genre, s’en amuser et tenter de les anéantir. La question, c’est : vont-elles être considérées comme les méchantes indéfiniment ?

Les méchant·e·s aussi ont un coeur

Il y a une mode ces derniers temps, c’est de réécrire les histoires et les contes de fées du point de vue du/de la méchant·e, comme Wicked (comédie musicale) ou Maléfique (film) où l’on apprend que les méchant·e·s ne le sont pas sans raison, et que c’est la société qui les a rendu·e·s ainsi car ils/elles sont non-conformes ou en rébellion contre le système. Elphaba est discriminée et rejetée car elle a la peau verte et se bat contre la politique oppressive du Magicien d’Oz, tandis que Maléfique se venge après avoir été trahie par l’homme qu’elle aimait. Il me semble d’ailleurs que le studio Disney avait imaginé un passé à Maléfique au moment de réaliser La Belle Au Bois Dormant (sans le raconter, juste pour appréhender ses actions dans le scénario) durant lequel elle aurait été violée étant jeune et qu’elle rejetait depuis lors toute forme d’amour et de confiance. C’est en tout cas cet hypothétique passé qui a été réutilisé dans le film Maléfique de manière détournée pour expliquer sa méchanceté et sa haine : trompée et droguée par l’homme qu’elle aimait, il lui a arraché ses ailes. Ô douce métaphore ! Angelina Jolie (qui joue le rôle de Maléfique) l’a elle-même confirmé : « Oui, cette scène parle de viol ». Ce film est beaucoup plus noir qu’on peut le penser ! Donc les méchant·e·s ne seraient en réalité que les victimes de la toute gentille société « Prince/Princesse » hétéro-normative qui a abusé d’eux/elles et qui continue à les discriminer et à en faire des boucs émissaires ? Avec cette lecture, toutes les œuvres de Disney prennent un autre sens !

Mais la société évolue et les films Disney aussi (comme expliqué précédemment avec l’évolution des princesses), et tendent de moins en moins à frozen« critiquer » les gens marginaux, incompris et indépendants. Pour preuve, la dernière Drag Queen Disney en date n’est autre qu’Elsa, la Reine des Neiges ! À la base censée être la méchante de l’histoire (avec tout l’attirail de Drag Queen associé) elle s’est vue « changer de bord » après que les réalisateurs aient entendu la proposition de chanson devant sortir de sa bouche « Libérée, Délivrée » (qui est, rappelons-le, une métaphore du coming-out). L’attirail de Drag Queen est encore assez présent et toutes les caractéristiques aussi : libre, indépendante, elle se moque de ce qu’on pense d’elle et critique, à l’instar d’Ursula, le modèle hétéro-normatif et genré des relations homme/femme (quand sa sœur Anna lui annonce son mariage avec Hans qu’elle vient à peine de rencontrer, par exemple). Le parfait prince charmant est de plus en plus remis en question ainsi que son baiser salvateur, et les méchant·e·s sont de plus en plus profond·e·s et travaillé·e·s. On est sur la bonne voie !

On commence à admettre que si les gens sont méchants, sur la défensive et en colère contre la société tout entière, c’est peut-être aussi à cause de cette société, justement. On pousse le/la spectateur·trice à revoir son jugement, à voir les choses d’un point de vue différent et à admettre que les méchant·e·s dans l’histoire ne sont pas forcément celleux qu’on veut bien nous faire croire. Les féministes sont tou·te·s agressifs/ves et enragé·e·s ? Hé bien à qui la faute ? Je vous le demande.

En tout cas, toute cette évolution et cette prise de conscience dans les productions Disney, c’est un peu grâce à nos méchant·e·s préféré·e·s. Car, qu’on soit bien d’accord, ce sont bien elles/eux les véritables héro·ïne·s de l’histoire.

Adrien, membre du CHEN