Avant toute chose, nous tenons à rappeler que nous avons conscience que les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) constituent un groupe de population où la prévalence du VIH et des autres ISTs est beaucoup plus élevée – bien qu’en diminution – par rapport à d’autres groupes de population. En effet, sur les 1039 personnes qui ont été diagnostiquées en 2014, les HSH constituaient 46% des nouvelles infections pour lesquelles le mode de contamination est connu. De ce fait, il est tout à fait justifiable qu’une ouverture du don de sang suscite des interrogations pour la santé publique, surtout si celle-ci peut impliquer un risque éventuel pour le patient/receveur. Le principe de précaution doit toujours être privilégié.

Toutefois, nous sommes en profond désaccord avec la législation – proposée par la Ministre de la santé Maggie de Block et annoncée dans la presse – qui vise à permettre l’ouverture du don de sang au public désigné « homosexuel » à la condition que celui-ci observe un an d’abstinence.

Tout d’abord, cette période d’un an n’a aucune valeur scientifique. La « fenêtre silencieuse » (période durant laquelle le VIH est indétectable dans le sang) est d’environ 11 jours. Pour toute personne qui réalise un dépistage dans un centre ou un planning familial, un test de 4ème génération permet d’avoir un résultat en 6 semaines. Si l’on applique le même raisonnement à d’autres ISTs asymptomatiques, comme l’hépatite B ou C, les périodes s’allongent à 60 jours pour la garantie d’un résultat. La prescription d’une période d’un an est, dès lors, disproportionnée par rapport aux réalités temporelles virologiques susmentionnées. Ces lois d’interdiction du don de sang des HSH datent d’une époque à laquelle il était impossible de dépister le VIH. Il est triste de constater que les mentalités ont si peu évolué malgré l’avancée des technologies de diagnostic.

Les homos, une population hétéro…gène

Néanmoins l’essentiel du problème ne se situe même pas dans cette période d’abstinence insensée, mais dans la supposée homogénéité des HSH. Le raisonnement, simpliste s’il en est, est que les ISTs, dont le VIH/SIDA, sont plus présentes auprès des HSH et qu’un rapport sexuel entre deux hommes est donc, de base, un rapport sexuel à risque. Seule une connaissance superficielle du dossier peut permettre de penser de la sorte. En effet, ce que Madame de Block et les experts réunis à sa table semblent oublier, c’est que tous les HSH n’ont ni les mêmes pratiques sexuelles, ni les mêmes comportements, tandis que la question des hommes transgenres est totalement oubliée, comme d’ordinaire.  De fait, les prises de risque sont loin d’être similaires. Ainsi, ce que cette législation postule, c’est que deux hommes en relation stable s’étant fait dépister sont exposés au même risque qu’un homme multipliant les partenaires d’un soir sans protection. Ou qu’un HSH ne pratiquant pas la sodomie s’expose aux mêmes risques qu’un HSH qui la pratique. Plus absurde encore, une sodomie entre un homme et une femme est considérée moins risquée qu’une fellation entre deux hommes, vu que cette dernière justifie une abstinence d’un an avant tout don de sang, différemment à la première.

don sang

En tant qu’acteurs de terrain dans le milieu LGBTQI, nous passons un temps considérable à conseiller notre public sur les stratégies de réduction de risque, en prenant en compte les spécificités comportementales, sociales et biologiques des personnes que nous conseillons afin d’obtenir un risque de transmission le plus faible possible. Au vu du message renvoyé par cette décision législative, le seul conseil que nous devrions donner semble être : « Abstenez-vous de tout rapport sexuel ». Finies les considérations sur le nombre de rapports sexuels, les pratiques utilisées, la fréquence des dépistages, l’utilisation des divers moyens de prévention diversifiée, le seul salut des HSH est l’abstinence sexuelle. C’est la Ministre de la Santé qui le dit.

Axer sur les pratiques, pour les HSH comme pour les HSF

Évidemment, la réalité est plus complexe que cela et une réflexion complète autour du questionnaire  soumis aux personnes souhaitant faire don de leur sang est indispensable afin de conceptualiser des catégories de filtrage et d’exclusion plus affinées, tant pour les HSH que pour les HSF (hommes ayant des relations sexuelles avec des femmes). Ce questionnaire pourrait également bénéficier d’une série de filtres afin que tous les comportements à risque soient pris en compte. Les HSH pourraient voir leur période de non transmissibilité du sang ramenée à celles de leurs homologues HSF (c’est-à-dire 4 mois) pour les personnes qui multiplieraient les comportements et les pratiques à risques, jusqu’à une période minimale – voire nulle – pour les personnes qui n’observeraient pas de comportements à risque précis (car se dépistant régulièrement, en couple stable fermé et/ou s’adaptant aux nouvelles stratégies de prévention diversifiée…)

En attendant cela, le message renvoyé par ce questionnaire et cette législation est qu’un rapport sexuel entre deux hommes est intrinsèquement impur, sans aucune considération sur ce qui constitue réellement un comportement à risque et ce qui n’en est pas un.

Car c’est bien cette question de la symbolique qui provoque la colère des associations LGBTQI. Cette notion qui date du début des années 80, alors qu’on appelait encore le SIDA « cancer gay » ou « gay-related immune deficiency », cette idée d’un sang impur provenant des veines d’une population anormale. Cette symbolique a des conséquences bien réelles de rejet et de discrimination. Encore aujourd’hui, 9% des patients séropositifs se voient refuser des soins de santé alors que pour les séropositifs HSH ce chiffre passe à 22%. Cela montre qu’en plus d’une peur de la contamination, il existe en arrière-plan une peur plus métaphorique, mais aux conséquences tout aussi délétères.

Quelle image renvoie effectivement ce message abrupt « d’abstinence pendant 12 mois » aux personnes HSH ? Que dire également de la vision presque moralisatrice que sous-tend ce message sur l’appréhension de leurs rapports sexuels ? De l’estime qu’une personne homosexuelle possède en voyant ses pratiques ou ses comportements sexuels relayés au rang de « dangereux » pour la sûreté du sang. Ce discours moralisateur dénote aussi le caractère « irresponsable » que l’on attribue aux personnes homosexuelles qui souhaiteraient tout simplement, comme n’importe quel citoyen responsable, donner leur sang.

Au-delà des aspects spécifiques de santé publique, il y en a bien d’autres qui méritent d’être abordés. La décision politique qui a été émise par la Ministre résulte de tables rondes avec une commission d’experts scientifiques et associatifs au cours de l’année 2016. Plusieurs promesses évoquées durant ces réunions n’ont pas été suivies des faits…  Au cours de celles-ci, il avait été question de réfléchir à l’ouverture du don de plaquettes et de plasma pour les homosexuels et d’ouvrir le don de sang à la recherche, mais mêmes ces infimes concessions n’ont pas été retenues.

Par ailleurs, il avait également été question d’apporter des modifications au questionnaire évoqué plus haut, sans plus de résultat. La confiance des associations LGBTQI fut, dès lors, brisée.

La trahison paraît d’autant plus grande que la communication réalisée autour cette décision politique est vite expédiée au travers des médias. Par ailleurs, les justifications autour de cette décision manquent de clarté et de précision, tant auprès du grand public qu’au niveau des personnes exclues. Cette situation montre un manque de respect, notamment à l’égard des associations LGBTQI qui portent cette thématique à coeur depuis, déjà, de nombreuses années et qui sont dans l’attente, de la part du politique, d’un message clair mais, surtout, cohérent.

L’Italie en exemple

D’ici à ce qu’un tel message nous soit communiqué, nous nous retrouvons dans une situation aussi absurde qu’hypocrite qui ne changera rien en pratique pour les HSH. C’est d’autant plus dommage que certains pays européens comme l’Italie ont d’ores et déjà permis le don de sang des HSH sans délai particulier, sur simple base d’un questionnaire interrogeant sur les comportements à risque, et ce depuis 2001. Depuis lors, aucune étude n’a mis en évidence d’augmentation statistiquement significative des dons de sang contaminés par le VIH. Ces données encourageantes tendent à suggérer que d’autres solutions plus justes sont possibles, sans rien sacrifier à la sécurité des receveurs qui reste, bien entendu, la première des préoccupations.

Les CHEFF