« On ne mêle pas les enfants à ces histoires-là », disait mon grand-père à sa fille. Il avait déjà un certain âge et s’autorisait enfin à partir, à vivre sa vie et à aimer. Il avait attendu que ma mère grandisse, « qu’elle puisse comprendre » : c’était la première génération.

Aujourd’hui, ma mère a trois enfants avec sa femme, son père est parti pour toujours et il y a moi, son premier enfant qu’elle a eu avec un homme. Comme mon grand-père, ma mère a suivi les règles du jeu. Elle a fait ce qu’on attendait d’elle : être hétéro. Mariage, enfant, puis un jour, on se réveille et on tombe amoureux·se. Notre vie bascule et on doit faire face à des choix. Pour ma mère, c’était déjà plus facile que mon grand-père. Elle s’autorisait le choix d’aimer celle qu’elle aimait, mais de ne pas partir, de rester avec moi, son fils, et de « mêler cette histoire à son enfant ».

Ceci dit, j’ai toujours eu l’impression qu’on n’osait pas m’expliquer concrètement les choses. Le dicton de mon grand-père pesait. Son dicton, c’était celui d’une génération plus fermée et sectaire. La génération de ma mère, c’est celle de l’ouverture. Petit à petit. 2003, la loi sur le mariage gay en Belgique passe. Été 2004, ma mère se marie avec ma belle-mère. 2006, l’adoption homoparentale est autorisée et mon petit frère naît.

Insémination artificielle, c’est ma belle-mère qui le porte, au vu de son plus jeune âge et, de ce fait, d’un corps plus solide pour accueillir la vie. À l’époque, ma mère a dû l’adopter, passer devant un juge et j’ai même dû donner mon autorisation. Mes petits frères et ma petite sœur ne me ressemblent pas. Iels sont tou·te·s blond·e·s, ont les yeux clairs et pourtant, il y a quelque chose qui nous rapproche énormément. Iels ont une ouverture d’esprit, une innocence tellement sage. Avec elleux, on a des amoureux, des amoureuses, peu importe, il faut bien travailler à l’école. Un anniversaire ? Les copains et les copines viennent à la maison et on ne se pose même plus de question. Iels ont deux mamans et tout se passe bien. C’est la deuxième génération.

La troisième génération : c’est à mon tour de me découvrir gay. Je suis plus jeune quand je m’autorise à être. Je ne suis pas obligé de me trouver une femme, avoir des enfants et les quitter quand iels seront suffisamment grand·e·s. Était-ce plus facile avec une maman mariée à une femme ? Depuis que ma mère a osé quitter mon père, l’homosexualité était déjà taboue dans la famille. Je revenais avec un lourd sujet en me découvrant ainsi, j’avais peur. Autant ou peut-être plus que d’autres jeunes gays qui doivent faire leur coming-out. Ma mère aussi avait peur. Elle sentait que j’étais gay et avait peur que l’on dise que c’était de sa faute.

Est-ce dans les gènes ? Qui sait ? Peu importe, tout ce que je sais, c’est que je ne pourrais pas faire semblant d’être hétéro, je suis né ainsi. Quand je vois mes petits frères et ma petit sœur heureux·se avec leurs deux mamans, je me pose d’autres questions. Comment puis-je avoir moi aussi des enfants ? Il y a l’adoption mais les démarches prennent des années et c’est souvent un échec au vu à cause des lois des pays étrangers d’où viennent la plupart des enfants. Il y a la GPA, mais ceci n’est ni interdit, ni autorisé en Belgique. Il n’y a pas de loi, aucune protection et rien n’est gratuit. Pour certains hétéros, il suffit d’un « accident », on n’est pas forcément enclin à éduquer un·e enfant, mais tant pis, on fait avec. Pour les gays, c’est le véritable parcours du combattant. Il n’y a pas de mode d’emploi pour être parent, mais lorsqu’il est si difficile d’avoir un·e enfant, autant dire qu’iel est bien accueilli·e, avec énormément d’amour et d’ouverture d’esprit.

Mon grand-père disait qu’il aimait toujours ma grand-mère jusqu’à la fin de sa vie alors qu’il côtoyait des hommes. Ma mère dit être tombée amoureuse d’une femme. Et moi, je me dis gay, mais j’aimerais surtout être parent. J’aimerais pouvoir sentir des petites mains de bébé, sentir mon enfant dans mes bras, regarder ses yeux lumineux et son visage plein de joie. J’aimerais pouvoir lui donner tout l’amour que je garde secrètement pour lui ou elle. J’aimerais le/la voir grandir et s’épanouir, qu’iel trouve sa propre voie, son propre chemin. J’aimerais qu’il ou elle soit la quatrième génération et que mon amoureux et moi ne soyons pas inquiets de qui il ou elle pourrait trouver dans la rue. La quatrième génération pourrait être la fin d’un combat, il ou elle pourrait donner la main de qui iel veut sans qu’il y ait des regards malfaisants. J’en doute un peu, mais restons positifs/ves.

Par Maxime, membre du CHEL – Témoignage publié dans le Rédac’CHEFF, n° 10, Enfance et homoparentalité, p. 22-23.